Critique
Désordre dans les troubles mentaux
Critique Médication, diagnostic… un praticien dénonce les dérives en psychiatrie outre-Atlantique.
Par MATHILDE GANDY - "Libération.fr" du 5 novembre 2011
TOC, TDHA , TED (troubles obsessionnels compulsifs, de l’attention avec hyperactivité, troubles envahissants du développement)… voilà comment le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) comprend le psychisme humain. Alors qu’une cinquième version du livre paraîtra aux Etats-Unis en 2012, le Pr Maurice Corcos, psychiatre et psychanalyste français, lance, dans l’Homme selon le DSM, une alerte sur les dangers de ce système où le «psy-machine» étiquette les maladies. Sa lecture est salutaire mais elle donne froid dans le dos, dans l’inventaire des dérives qui ont cours en psychiatrie outre-Atlantique.
Niant l’importance de l’histoire transgénérationnelle, socioculturelle et individuelle du sujet, le DSM fait l’économie de la subjectivité. Son «horreur du fluant» (Bergson) le rend inapte à comprendre l’essence mouvante du psychisme et le chosifie, provoquant des catastrophes thérapeutiques. Le DSM voit dans les problèmes adolescents les germes d’un trouble schizophrénique ou bipolaire, justiciables d’un traitement préventif précoce aux lourds effets secondaires et enfermant le sujet dans une logique morbide. Une aubaine pour certains. Incapables de fournir une compréhension profonde du sujet, les «experts» du DSM sont cependant «très capables sur le plan financier de s’acoquiner à des laboratoires pharmaceutiques», dénonce le Pr Corcos : élargir le champ de la pathologie mentale (354 troubles ont été «découverts» de 1987 à 1994) pour un marché toujours plus juteux.
L’idéologie qui sous-tend le système DSM est pénétrée d’«économisme», d’«universalisme hégémonique» et d’individualisme, au service d’un idéal de performance et d’adaptation qui favorise la mise à l’écart des losers, explique l’auteur. Réduit à une attitude, voire à un automatisme, l’homme est rabaissé au rang de l’animal et bientôt du robot. Mais, à l’heure de la crise de l’économie de marché, l’auteur trouve une raison d’espérer : «Et si cette Bourse-là des nouvelles valeurs humaines s’effondrait ?»
Le mot de l'éditeur : L'homme selon le DSM.
Après les manuels de diagnostic des troubles mentaux américains, DSM 1,2,3,4, le DSM 5 va sortir en français. Il n'y est plus question d'individu mais d'un comportement humain découpé en symptômes, susceptibles de répondre à des molécules? Outre que cesz classifications sont discutables, elles enferment l'homme dans un diagnostic au lieu d'intégrer l'ensemble de sa personnalité et de la considérer dans son histoire. Cela va avec une médicalisation de la société et de l'ensemble des comportements humains.
Mais peut-on réduire l'humain à des déterminismes génético-biologiques, selon un modèle anatomo-clinique simpliste ? Maurice Corsos dénonce les abstractions et les certitudes, et met en avant une sorte de modestie du spécialiste, contre le règne des experts? Exactitude dans le diagnostic, intelligence dans les propositions thérapeutiques, talent pour mettre les phénomènes sociaux en perspective (la quantification et l'économie) et pour les replacer dans une lmogique historique, c'est un travail de praticien qui prend de la distance par rapport à sa pratique, se pose la question de ses fins, cherche à promouvoir une idée humaniste de l'homme et ne se laisse abuser par les phénomènes de mode.
Ce petit livre écrit avec beaucoup d'humanité, ouvre les yeux et le débat sur une dérive qui devrait nous interroger sur le triomphe d'une science classificatoire qui pourrait bien être elle-même le symptôme d'une société malade...
Maurice Corsos, est Professeur de psychiatrie, chef du service de psychiatrie infanto-juvénile de l'institut mutualiste Montsouris. Il a publié de nombreux ouvrages pour les spécialistes(Dunod, PUF, Masson).
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